L’agriculture de conservation des sols (AC) s’est développée dans les années 1930 en Amérique du Nord à la suite d’une catastrophe écologique : le « Dust Bowl ». Lors de cette période, les grandes plaines céréalières nord-américaines situées entre l’Oklahoma, le Texas et le Kansas ont subi une série d’érosions éoliennes et hydriques liées à des épisodes intenses de sécheresses et de tempêtes.
Ce phénomène, largement reconnu, comme une catastrophe écologique a conduit à des pertes massives de surfaces agricoles utiles (plus de 1186 t /ha de sol). En 1934, plus de 65% des surfaces de ces grandes plaines céréalières étaient affectées par de l’érosion éolienne. Les pertes économiques ont été colossales (baisse de 400 millions de dollars / an de productivité) (Hansen and Libecap, 2003; Worster, 2010, Hornbeck, 2012).
Pour limiter ces phénomènes de dégradation des sols (ex : érosion, ruissellement), les producteurs nord-américains ont ainsi développé de nouvelles pratiques qui ont fait émerger « l’agriculture de conservation des sols ». L’AC repose sur trois piliers principaux : (1) une perturbation minimale du sol, (2) une couverture permanente du sol et (3) des rotations diversifiées (FAO, 2008). L’objectif principal visé par ces pratiques est d’augmenter la diversité des espèces cultivées et la fertilité des sols ; et ainsi de rendre les systèmes de production agricoles plus résilients face aux changements environnementaux (climatiques) et économiques. L’AC est ainsi définie comme une pratique répondant à la notion d’agro-écologie (Wezel et al., 2014). Les techniques de travail du sol sans labour développées en AC (ex : travail du sol réduit, semis direct, strip-till), suscitent de nombreux intérêts au regard des bénéfices agronomiques (préservation de la fertilité du sol) et économiques (moins de consommation de carburant, de temps de travail etc.) apportés. Toutefois, ces techniques aujourd’hui principalement utilisées en agriculture conventionnelle ont aussi contribué à une augmentation de l’utilisation d’herbicides pour gérer les adventices et les couverts végétaux mobilisés par exemple dans la technique du semis sous couvert végétal. Ainsi, leur mise en pratique au sein de systèmes de production biologiques doit faire face à de nombreux enjeux car les références aujourd’hui disponibles sur ces techniques culturales sans labour ont été produites principalement dans des systèmes conventionnels.
En agriculture biologique, pour faire face à ces enjeux, des techniques innovantes apparaissent : elles impliquent par exemple l’implantation de couverts végétaux, détruits ou maîtrisés sans herbicide (par roulage) de façon à créer un mulch végétal qui étouffe les adventices et permet une implantation directe des cultures (cf. Thèse Laura VINCENT-CABOUD) ou encore le semis d’un couvert sous une culture de céréale d’hiver en mars afin d’avoir un couvert présent pour protéger le sol et ainsi gérer les adventices dès la moisson de la culture principale. Ces pratiques permettent donc des solutions pour bénéficier des avantages environnementaux et agronomiques de l’AC sans augmentation d’herbicides pour les agriculteurs conventionnels et inversement sans prolifération des adventices pour les agriculteurs en AB.
La réussite de ces essais reste encore variable en AB au regard du manque de référence et de recul sur ces pratiques encore récentes. Une enquête européenne conduite auprès de 150 agriculteurs en AB autour de l’ABC a montré que les agriculteurs s’intéressent beaucoup à ces techniques pour améliorer la fertilité de leur sol mais très peu les pratiquent en raison de la prise de risque agronomique et économique impliquée (baisse de rendement, salissement, besoin d’outils adaptés, gestion du couvert végétal). Un besoin important de références et surtout d’accompagnement des producteurs est mis en évidence dans la littérature pour adapter l’ABC à des contextes locaux. Des premiers résultats encourageants sont observés par la recherche et dans les exploitations notamment dans les régions du sud et du sud-est de la France (Thèse Laura VINCENT-CABOUD, exemple de la technique du semis de soja semé sous couvert végétal roulé). Toutefois, dans des contextes plus tempérés et humides comme rencontrés en Normandie, peu de références existent encore et le développement de ces techniques fait face à des points de blocage. Pourtant, les intérêts des producteurs normands pour essayer d’intégrer l’ABC dans leur ferme sont tout aussi présents. Une enquête conduite auprès de 74 producteurs en Normandie en hiver 2021 illustre notamment ces motivations et leurs attentes d’accompagnement sur la question de l’ABC auxquelles Bio en Normandie tentent de répondre en expérimentant avec eux de nouvelles pratiques (ex : non labour sur des céréales d’hiver ou du maïs, cultures associées, intégration de couverts végétaux dans les systèmes de production, etc.).
Figure 1: Semis d’un soja sous couvert végétal roulé en Isère (Source : Thèse Laura VINCENT-CABOUD)
Figure 2: Roulage d’un couvert végétal de seigle AB en Isère (Source : Thèse Laura VINCENT-CABOUD)
Figure 3: schéma du principe du semis direct sous couvert végétal roulé en AB (Source : Thèse Laura VINCENT-CABOUD)
Figure 4: Répartition géographique des participants à l’enquête en Normandie. En Orange, les productions en polycultures / Légumes plein champs. En bleu, les productions laitières. En vert, les productions de viande. En violet, les productions en maraîchage diversifiées. En noir, d’autres productions telles que le miel, des œufs, des fruits.
Vous souhaitez approfondir ce sujet ?
Contactez nous :
- hbillot@bio-normandie.org (14, 50, 61)
- orouzierebeaulieu@bio-normandie.org (76, 27)
Partager :