Le critère local est-il suffisant pour répondre aux enjeux de transition agricole et alimentaire ?

Source infographie : ADEME

Mention « local » : de quoi parle-t-on ?

Une forte adhésion des consommateurs pour le local est observée ces dernières années (étude Kantar 2021). A l’échelle des territoires, la relocalisation de l’alimentation a une place centrale au sein des démarches de planification, à l’instar des projets alimentaires territoriaux (PAT).

Intuitivement, on peut penser que consommer un produit cultivé non loin de chez soi réduirait les coûts de transports et ainsi les émissions de gaz à effet de serre.

 → Cela n’est pas si évident.

Attention à la sémantique

Tout d’abord, un petit récapitulatif « sémantique » s’impose :

  • Le terme local implique une notion de proximité physique (kilométrage). Il vise la réduction de la distance entre la production et la consommation. En revanche, il n’existe pas de définition officielle du local, le kilométrage (et ainsi la définition de l’échelle) n’est pas clairement défini. Le terme « local » peut également renvoyer à la notion « d’identité » notamment territoriale. Il convient alors de bien définir la mention « local » dans les politiques publiques.
  • Les circuits-courts peuvent être présentés comme synonyme de local, notamment dans le cadre de stratégies de relocalisation de l’alimentation. Or il s’agit d’être vigilant en évitant les amalgames. Il existe une définition officielle, issue du ministère de l’Agriculture : l’appellation circuit-court renvoie à un circuit de commercialisation avec au maximum 1 intermédiaire, en producteur et consommateur. A la différence du local, le terme « circuit court » ne fait pas référence à la distance entre le lieu de production et celui de la consommation.
  • Pour faire référence à la notion de distance, il convient de parler de circuits courts de proximité.

Circuits-courts de proximité : une logistique à améliorer

Consommer local, via des circuits courts de proximité (marchés, AMAP, magasins de producteurs ou encore vente directe à la ferme) apporte des bénéfices sociaux et économiques : sentiment d’une meilleure traçabilité, solidarité acheteur-producteur, soutien à l’économie locale, coopération entre acteurs d’un territoire, etc.

En revanche, le système de commercialisation local n’est pas systématiquement meilleur d’un point de vue environnemental si l’on s’intéresse aux émissions liées au transport. L’enjeu est notamment organisationnel : flux fragmentés, trajets de petites quantités transportées, taux de chargement pas nécessairement optimisés (des retours à vide), etc. Par ailleurs, les circuits courts de proximité confèrent plus de tâches au producteur qu’en circuits longs (préparation des commandes, transport des produits…). La logistique des circuits courts de proximité reste à optimiser. Il s’agit également de questionner la gouvernance du système alimentaire via le prisme de la logistique : à qui revient et doit revenir la charge de la logistique pour l’optimiser davantage ? Quelle stratégie de mutualisation adopter en termes de transport et de stockage ?

Quid de l’empreinte carbone du local ?  

Le critère local apporte peu de garantie en matière d’environnement. S’agissant de l’empreinte environnementale de l’alimentation, le transport représente une faible part (19%) des émissions de GES par rapport au secteur de la production agricole (67%). C’est le secteur de la production agricole qui génère le plus d’émissions de GES (engrais, machines agricoles…). Le mode de production a donc plus d’impact que le transport en matière d’émissions de GES. Ainsi, uniquement limiter la distance entre le lieu de production et celui de la consommation ne permettrait pas de réduire suffisamment notre empreinte carbone.

Critères local et bio : la garantie d’une production durable….

Le bilan carbone d’un produit alimentaire dépend principalement de son mode de production. L’agriculture biologique excluant l’usage des engrais minéraux azotés et des produits phytosanitaires de synthèse, elle représente un levier essentiel pour limiter l’empreinte carbone de l’alimentation. Par ailleurs, la bio représente une garantie en matière de pratiques agricoles, via un cahier des charges strict et exigeant et des contrôles annuels.

C’est pourquoi l’AB est au cœur des scénarios scientifiques de prospective agricole :

Pour relever les défis de l’agriculture française d’ici 2050 compte tenu de sa population et des enjeux climatiques, 45 % de l’agriculture française devrait être conduite en bio d’ici 2050 d’après le scénario Afterres 2050 de SOLAGRO. Le modèle agricole proposé serait capable de réduire de 50% les émissions agricoles de GES.

Pour une réelle transition agroécologique à l’échelle européenne, le scénario TYFA (Ten Years For Agroecology) de l’IDDRI (Institut du développement durable et des relations internationales), prévoit un système agricole européen sans recours à la chimie de synthèse en 2050. Les changements seraient conséquents mais aboutiraient à modèle agricole capable de nourrir l’Europe en réduisant de 40% les émissions agricoles de GES.

…Sans oublier l’évolution du régime alimentaire

Comme le précise le rapport du projet CECAM, la production agricole est le 1er poste d’émissions de GES, soit 2/3 de l’empreinte carbone de l’alimentation provenant de la fabrication et de l’usage d’engrais azotés, la fermentation entérique par les ruminants et des effluents d’élevages, etc. Ainsi, en plus de l’évolution des pratiques agricoles, la modification du régime alimentaire (moins de produits animaux) est un levier déterminant.

En synthèse :

D’après le scénario agroécologique 2050 du CNRS, il convient de s’appuyer sur 3 leviers :

→ Aller vers un changement de régime alimentaire (opter pour une alimentation moins carnée et ainsi favoriser les protéines végétales) ;

→ Généraliser les systèmes de rotation au mode de production biologique (mettre en place des rotations longues et diversifiées incluant des légumineuses fixatrices d’azote) ;

→ Redévelopper les systèmes de polyculture-élevage (reconnexion entre systèmes d’élevage et de cultures pour développer les complémentarités avec maintien des prairies)

 C’est également ce que préconise l’INRAE à l’échelle française dans son adaptation du scénario Afterres 2050 (SOLAGRO), en précisant les chantiers prioritaires de l’agriculture française.


Références bibliographiques :

BARBIER C., COUTURIER C., POUROUCHOTTAMIN P., CAYLA J-M, SYLVESTRE M., PHARABOD I., 2019,« L’empreinte énergétique et carbone de l’alimentation en France », Club Ingénierie Prospective Energie et Environnement, Paris, IDDRI, 24p.Janvier 2019

POUX X. et AUBERT P.M., 2018, Une Europe agroécologique en 2050 : une agriculture multifonctionnelle pour une alimentation saine, 78p.

SOLAGRO, 2014, Scénario Afterres 2050. Un scénario soutenable pour l’agriculture et l’utilisation des terres en France à l’horizon 2050, 63p.

Reshaping the European agro-food system and closing its nitrogen cycle : The potential of combining dietary change, agroecology, and circularity. Gilles Billen, Eduardo Aguilera, Rasmus Einarsson, Josette Garnier, Simone Gingrich, Bruna Grizzetti, Luis Lassaletta, Julia Le Noe and Alberto Sanz-Cobena. One Earth, 18 juin 2021. https://doi.org/10.1016/j.oneear.2021.05.008


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