[Élevage] ALLIER SANTÉ ET PRODUCTION : L’importance des premiers mois de la vie de la génisse

Le stress thermique – coup de chaud sur les vaches laitières gestantes, associé à une alimentation trop pauvre et/ou déséquilibrée, par un phénomène d’épigénétique a des conséquences sur la 1ère génération à venir (la génisse) ainsi que pour la 2ème génération (petite fille) (voir article de la revue bio de BeN de décembre 2023). En effet, ce type de stress laisse, sans toucher à l’ADN, des marques sur le génome qui en modifient l’expression. Le génome sera répliqué avec ses marques épigénétiques durant toute la vie de l’animal et rend l’impact de ce stress durable.

Dans la continuité, cet article traite de l’importance des techniques d’élevage des veaux. En effet, les premiers mois de vie font partie des périodes critiques essentielles dans le bon développement de la future vache laitière et l’occasion d’aborder d’autres mécanismes qui affectent l’expression du génome : le microbiote et les processus comportementaux. Ce qui confirme que les pratiques d’élevage et le terroir contribuent fortement à modeler le troupeau. Il y a peu de caractères où la génétique jouerait à valeur égale avec l’environnement. Ils concernent la composition du lait (TP et TB, teneur en lactose), les autres facteurs étant surtout influencés par l’environnement. On parle ainsi de variabilité phénotypale : 2 individus identiques (des vrais jumeaux) qui évoluent dans un milieu différent et vivent des expériences différentes donneront 2 individus différents. Il ne faut toutefois pas négliger la sélection puisque la génétique reste la base du potentiel.

De nombreuses études attestent que le microbiote intestinal a un rôle sur l’expression des phénotypes et surtout au niveau de la santé. Ce microbiote est fortement influencé par l’environnement. A la naissance le veau n’a pas de microbiote intestinal. Le milieu où il naît et vit ses premières semaines ainsi que son alimentation vont l’ensemencer. Leur qualité va donc avoir un rôle majeur.

Par ailleurs, par processus comportementaux on parle de milieu de vie / conditions de logement, d’alimentation, de relations sociales avec des congénères et des éleveurs.ses et d’acquérir une expérience comportementale.

La majeure partie des références de cet article proviennent de l’intervention de Yann Martinot d’ELVUP lors de la formation du 7 novembre avec le groupe bocage ornais.

Qu’est-ce qu’un bon démarrage ?

Il est communément fait mention qu’une génisse doit atteindre 200 kg à 6 mois d’âge qu’elle vêle à 24 ou 36 mois. Dans les élevages bio, beaucoup de systèmes ont du mal à atteindre ce critère. L’élevage sous des nourrices contribue à de meilleures croissances mais cela dépend de la lactation de la nourrice, du nombre de veaux qu’elle a, de l’homogénéité ou non de l’âge des veaux (la concurrence peut empêcher les plus petits de boire suffisamment). Cette référence française a été remise en cause par Yann Martinot qui préconise le doublement du poids du veau entre 1 et 56 jours qui correspond à un GMQ de 750 g/jour en moyenne. En effet, ces premières semaines de vie correspondent à une grosse phase de développement des organes qui ne se retrouve pas par la suite. Par contre, un sevrage difficile et des pertes de croissance entre 2 et 6 mois peuvent se récupérer par la suite. Même s’ils peuvent retarder l’âge au vêlage, ils n’amputent pas le potentiel productif.

Comment atteindre le doublement du poids de naissance à 56 jours ?

Environnement à la naissance

De 0 à 1 mois, le microbiote s’installe et le système immunitaire est en construction. À 10 jours de vie, il y un creux immunitaire où la pression pathogène doit être limitée pour éviter les maladies qui vont affecter la croissance voire tuer le veau. Le nombril est une porte ouverte aux bactéries. Attention aux coliformes qui peuvent provoquer une septicémie.

Ainsi le lieu où naît le veau est important : une naissance en pâture est souvent bénéfique. Si elle a lieu en bâtiment, le paillot doit être bien propre, la paille brillante. Aux Etats-Unis il est commun que le box de vêlage soit un bac à sable qui présente l’intérêt d’être confortable pour la vache et ne permet pas le développement des bactéries.

Alimentation du veau

·         Juste après la naissance

La quantité de lait ingérée influe positivement sur la santé, la fertilité, le développement de la mamelle et la productivité laitière. Les études sur des vaches à haut potentiel annoncent 1000 L de lait en jeu, à relativiser avec nos systèmes herbagers. Mais des éleveurs témoignent que les génisses qui patinent dans leur jeunesse engendrent de la perte (difficulté de repro, mortalité, 1ère lactation difficile) d’où l’importance d’un bon démarrage.

Entre 6 et 12 heures après la naissance, le veau devrait boire entre 2 et 4 L de colostrum (au biberon ça peut prendre 30 min, certains les sondent ce qui prend 5-10 min mais peut ressembler à du gavage). Pourquoi à ce moment ? La paroi de l’intestin est encore très perméable et laisse passer les immunoglobulines de la mère pour protéger le veau qui n’a pas une réelle immunité propre. Quelques heures après (autour de 6h si possible) il doit être capable de boire de nouveau 2-3 L tout seul. Le veau doit prendre 10% de son poids de naissance dans le laps de temps le plus court.

·         Plan lacté

Si le lait ne présente pas de germes pathogènes, il est possible de monter progressivement à 10 L/jour de lait pendant 1.5 mois (y aller progressivement si les pratiques de la ferme en sont loin pour voir comment ça se passe). Sur les 7 premiers jours : 2 buvées de 4 L, la 2ème semaine : 2 buvées de 5 L.

Pour ne pas détruire le microbiote en cours de construction, bannir le lait de vache soignées avec des antibiotiques pour les génisses de renouvellement au cours de leurs 2 premiers mois de vie. De même, traiter des veaux avec des antibiotiques au cours de cette même période doit idéalement être exceptionnel. Yann Martinot annonce qu’un traitement de santé entre 1 et 56 j fait perdre -750 kg de lait (pour une haute productrice).

À un mois et demi la quantité de lait est réduite pour arriver à 1 L/jour jusqu’à 3 mois.

Afin de garantir que la température du lait soit entre 37 et 38°C au moment de la buvée, notamment en hiver, elle peut être montée à 40-42°C au moment de servir. Si le lait est trop chaud, le veau attend qu’il refroidisse pour le boire.

·         Complémentation

Dès le départ, du fourrage dans de petits râteliers doit être disponible pour éviter que le veau ne mange de la litière sale et se contamine.

L’alimentation lactée doit être complémentée avec du bon foin et du concentré. S’il n’y a pas de concentré donner plus de lait (après le premier mois et demi) et toujours un bon foin et/ou du pâturage. L’alimentation du veau devrait être à 17-18% de MAT.

Dès 3 jours, le veau doit pouvoir boire de l’eau surtout en été. La déshydratation empêche l’installation des microbiotes. A distribuer après la buvée pour éviter qu’elle ne passe dans la caillette et provoque des diarrhées.

À partir de 3 mois, il est possible de donner de l’ensilage ou de l’enrubannage si ça fait partie de la ration adulte et s’il est assez sec (il doit sentir bon) pour développer le microbiote nécessaire à sa ration adulte.

Du sel doit être à disposition dès la naissance, en effet les bactéries du rumen en ont besoin.

Une complémentation minérale est conseillée en calcium et phosphore. Yann Martinot déconseille de laisser de l’argile en libre-service car si elle est consommée en grande quantité elle empêche l’absorption des vitamines et minéraux. En effet, certains veaux peuvent en manger de grosses quantités s’ils ont un bon rapport à l’argile (du fait d’une expérience positive). A l’éleveur de réguler l’argile et d’en distribuer quand il y a un problème.

Remarque : Pour mesurer la croissance des veaux, le ruban avant 3 mois n’est pas assez précis.

Ne pas négliger l’hygiène autour de l’allaitement

Le colostrum doit être à moins de 100 000 germes. Si le veau tète, les trayons de la mère doivent être propres.

Pour l’élevage au seau, il est conseillé de maintenir seaux et cases individuelles en tout début de vie. Le règlement bio permet la case individuelle les 7 premiers jours. Les veaux malades devraient être dans un espace dédié et éloignés pour éviter les contaminations. Le règlement bio autorise l’isolement si c’est pour des raisons sanitaires. Par contre, l’isolement peut être source de stress pour le veau malade…

Les seaux doivent être bien propres, secs et pas gras (signe de la présence d’un biofilm abritant des bactéries). Pour qu’ils soient bien propres il faut les brosser. Les tétines présentent l’inconvénient d’être très difficiles à nettoyer.

Conditions de logement :

Entre 0 et 15 jours les veaux ont besoin d’avoir chaud. En hiver, s’il fait froid, une belle couche de paille va permettre de les tenir au chaud. Il existe aussi des manteaux à veaux s’il fait vraiment très froid pour les 0 – 15 jours. 

Il faut si possible éviter que les veaux soient sur des sols bétonnés ou en pente avec des caniveaux. Idéalement un sol drainé (gravier 10-20 mm) sera plus sain.

  • En nurserie :

Il est important que l’air soit sain, c’est-à-dire pas trop humide, renouvelé et il ne devrait pas y avoir de mouvement d’air trop fort :

–          ventilation ou renouvellement d’air sain à vérifier (5 à 10 renouvellements d’air par heure)

–          hygrométrie inférieure à 80%

–         Air poussé sur les veaux : à 1.2 m, on ne doit quasiment pas y avoir de vent, de l’air frais mais sans vent.

  • En niches : l’orientation en hiver à prioriser est le plein est pour profiter du soleil du matin et éviter le vent d’ouest humide. En été, c’est l’inverse.

Relations sociales :  les bovins sont des animaux grégaires et ont besoin d’être en groupe. Il est intéressant pour les petits d’être au contact d’adultes au travers de qui ils apprennent les codes hiérarchiques, le comportement vis-à-vis de l’alimentation, etc.

Ainsi la fin de gestation et les 2 premiers mois de vie sont des périodes sensibles aux conditions du milieu et où le futur troupeau se construit. Plusieurs leviers se dégagent pour influer à moyen terme sur la santé et la productivité des animaux. Ils concernent l’alimentation, les conditions de logement, l’hygiène autour de la distribution du lait et l’apprentissage de la vie en groupe. Quel que soit le système, offrir de l’attention à son renouvellement surtout sur ces périodes doit permettre de voir ses génisses bien démarrer et d’être plus tranquille ensuite, de supporter des stress, de jouer avec la croissance compensatrice. Enfin on ne saurait qu’encourager les éleveurs.ses à noter et suivre les parcours de vie de leurs animaux comme aide à la sélection pour identifier les lignées et individus les mieux adaptés à l’environnement qui est le leur et aux objectifs de leurs éleveurs.ses.

Si vous êtes intéressé par le microbiote intestinal, podcast France Culture – Tous en selles ! (4 épisodes) :

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/geographies-intimes-de-nos-microbes-9883729

Virginie PARRAIN

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